Les alpages
Poursuivons avec les alpages dont le plus beau, à mon avis, est celui du Grand Morgon. Nous l'avons bien connu, heureusement avant la cohue des touristes qui n'ont pas toujours un comportement respectueux de la montagne et de ses habitants, bergers et animaux compris. Oui, je sais, ce sont eux qui font vivre la région à présent...bref...
A lire la description des paysages, c'est comme si on refaisait les parcours d'il y a cinquante ans!
Les alpages du Bas-Embrunais face au développement touristique
par Annie Reffay
Revue de géographie alpine Année 1980 Volume 68 Numéro 4 pp. 327-347
Des pâturages de qualité
...Une troisième catégorie de beaux alpages se rencontre aux confins occidentaux du Bas-Embrunais... et des nappes de Flysch à Helminthoïdes, sur les calcaires et les gypses de la zone subbriançonnaise. Sur la rive gauche du Boscodon et la rive droite du Réallon, le Grand Morgon et les Aiguilles de Chabrières dominent respectivement de leurs silhouettes hardies deux ensembles pastoraux. L'herbe y est de belle venue. Mais la topographie chaotique, l'abondance des pierres et surtout la possibilité de trouver à proximité sur le Flysch de meilleures montagnes à vaches, font qu'ils sont réservés aux moutons.
Des paysages pleins de charme
Ces alpages offrent, esthétiquement parlant, parmi les plus beaux paysages pastoraux qu'il nous ait été donné de contempler. Leur charme tient, nous semble-t-il, à deux facteurs : l'harmonieuse combinaison de l'herbe, de l'arbre et du rocher et la présence d'eau et de fleurs.
Il n'existe pas d'alpage sans arbres, que ces derniers composent la futaie claire d'un mélézein, qu'ils étoffent les boqueteaux d'un prébois ou qu'ils représentent, à l'état de quelques rideaux ou individus isolés, les rescapés de lointains défrichements. Parcourir ces montagnes nous a confirmés dans notre opinion que la pelouse alpine ne correspond pas à un étage naturel de végétation, mais à la strate herbacée d'une forêt d'altitude dont, clairsemés et rabougris, les arbres se prêtaient à la coupe. Il n'existe pas non plus d'alpages sans rochers. Des blocs épars dans l'herbe résultent d'éboulements ou du lavage des moraines par les eaux de ruissellement. Des parois abruptes ourlées de tabliers d'éboulis, corniches de grands reliefs monoclinaux, alternent avec des revers peu déclives et gazonnés ; s'il n'y découvre pas toujours de chamois, l'œil ne peut laisser d'y lire les microstructures d'écoulement héritées de la mise en place des nappes de l'Embrunais.
Point de glaciers dans ces montagnes trop méridionales et relativement peu élevées : le point culminant de la région, la Tête de Vautisse, dépasse à peine les 3 000 m. Mais des torrents bien alimentés par des névés persistants tombent des alpages en cascades et les sommets se mirent dans de nombreux petits lacs, dont certains à vrai dire s'assèchent au cours de l'été, rançon de l'appartenance de l'Embrunais aux « Grandes Alpes ensoleillées » ! En revanche, sur ces montagnes teintées d'influences méditerranéennes et aux sols riches en chaux, la flore est d'une richesse exceptionnelle et les fleurs, d'espèces rares parfois, y poussent en tapis. Lorsque ces pelouses d'altitude se font également belvédères, l'enchantement est complet.
On s'étonne de voir ces beaux alpages si peu fréquentés des promeneurs : mais on oublie alors que ce sont aussi de hauts alpages.
Un gardiennage permanent.
Ce qui caractérise en effet les véritables alpages, c'est leur éloignement par rapport aux sites d'habitat permanent. Le Bas-Embrunais est axé sur la vallée de la Durance dont le fond se tient entre 900 m à Réotier et 800 m sur les rivages du lac de Serre-Ponçon. Certes, les hameaux grimpent sur les versants pour atteindre des altitudes approchant en théorie celles de la base des alpages. Mais les villages les plus élevés sont également les plus dépeuplés et ce ne sont pas les quelques exploitations agricoles marginales y subsistant qui alimentent le gros de la vie pastorale. Prenons l'exemple de Crots, au demeurant la plus grosse commune de la région, où l'habitat permanent monte jusqu'à 1 600 m (Les Gendres). Les 11 fermes les plus importantes se trouvent toutes dans des hameaux situés en-dessous de 1 100 m. Réallon offre un cas un peu à part. C'est la seule commune, parmi les 11 étudiées, à être entièrement située dans une vallée affluente. En conséquence ses hameaux, échelonnés entre 1 250 m (Les Rousses) et 1 470 m (Les Gourniers), sont relativement élevés. Mais il en va de même pour la limite inférieure des alpages, laquelle se tient toujours au-dessus de 1 600 m en ce qui concerne les communaux. Et rappelons que quatre d'entre eux sont utilisés par des trouveaux venus de communes environnantes et soumis par là à des trajets comportant d'appréciables dénivellations.
La situation des alpages bien au-dessus des fermes explique qu'à quatre exceptions près (la Sellette, le Mont-Guillaume, le Clocher et le Couleau - Bel Pinet), les exploitations pastorales ont recours au gardiennage des troupeaux. Il en résulte que le nombre des bergers se maintient et qu'il en existe divers types. Mettons à part 14 bergers, occasionnels et fluctuants, qui ne gardent pas en permanence parce qu'ils sont susceptibles de se relayer, dans le cadre de la famille pour les 9 petites montagnes, de la section pour les montagnes collectives à bovins de demi-saison (Pra Prunier, la Gardette de Réallon, Clos Jaunier), voire de la commune pour un alpage de plein été, Chargés. Il reste 19 bergers à demeure, surveillant le troupeau pendant toute la saison d'estivage. Parmi ces derniers, 3 sont des agriculteurs locaux (la Gardette de Puy-Saint-Eusèbe, la Gardette de Saint-Apollinaire, l'Aiguille-l'Hivernet) ; 9 sont des bergers professionnels, jeunes gens le plus souvent, diplômés d'écoles de bergerie et non originaires de la région ; 7 autres enfin exercent en hiver une activité touristique.
Un tourisme de fond de vallée.
Eloignés des villages, les alpages le sont du même coup des implantations touristiques, lesquelles sont restées à l'étage de l'habitat permanent. Comme l'a montré M. G. Durand, l'essor du tourisme en Bas-Embrunais est un fait récent, déclenché en 1960 par la mise en eau de la retenue de Serre-Ponçon. Il continue d'être, en 1980, étroitement tributaire de la présence de ce lac. La capacité actuelle d'hébergement de chaque commune et, pour huit d'entre elles son évolution au cours des années 1970 sont, à ce propos, assez révélatrices.
A voir les photos et cartes postales de la région, il est facile de comprendre l'engouement qu'elle suscite. Le Guillaume au fond à gauche et le Grand Morgon à droite.
(Photo Jérome Bon)
En 1970 venaient en tête trois communes riveraines du lac : Embrun (3 500 lits) bénéficiaire d'un plan d'eau fixe et d'une infrastructure urbaine ; Savines (2 023 lits) qui a survécu à la submersion en jouant la carte touristique ; Crots (664 lits) demeurée très agricole. Suivaient Châteauroux (562 lits) à qui la Route Nationale 94 fournissait un accès rapide au lac, Puy-Saint-Eusèbe (277 lits) dotée d'un site de belvédère. Les communes les moins touristiques étaient alors Réallon (111 lits) dans l'expectative d'une station de sports d'hiver, Saint-Apollinaire (50 lits) et Puy-Sanières (24 lits), toutes trois mal reliées au plan d'eau par des routes à viabilité incertaine. En 1980, Embrun (6 575 lits) et Savines (5 869 lits) sont toujours en tête. Mais Châteauroux (2 075 lits) a supplanté Crots (1 710 lits) qui a essayé sans succès de créer une petite station de sports d'hiver à Saint-Jean. Saint-Apollinaire (678 lits), bénéficiant de travaux routiers a exploité à son tour son ensoleillement et son site de belvédère et dépassé Puy-Saint-Eusèbe (460 lits).
Dans le domaine des sports d'hiver, la réalisation de la station de Pra Prunier semble reportée sine die. Seule a été tracée une route d'accès, non encore revêtue et s'embranchant sur la Départementale 9 qui relie Saint-Apollinaire à Savines : aucun des hameaux de Réallon, sur le territoire de laquelle se situerait la station, ne lui serait directement relié et, dans ces conditions, on peut se demander quel bénéfice pourrait en retirer cette commune déshéritée qui aurait cependant grand besoin d'un moteur de développement économique. Les alpages de Crots ont eux aussi été l'objet d'un projet, plus précis peut-être, mais fort irréaliste. Il aurait été question de créer une super-station à plusieurs noyaux, style La Plagne, comportant un hôtel et un altiport au Morgon, un second hôtel et un village à la Grand Cabane. Les autorités locales ont avec raison repoussé ledit projet. Il aurait été en effet absurde de créer des milliers de lits à l'étage pastoral alors qu'en hiver la capacité d'hébergement sur les rives du lac de Serre-Ponçon est loin d'être remplie. D'autres projets, plus modestes, d'équipement touristique ont plus de chances de voir le jour. Ils concernent l'aménagement d'itinéraires de ski de fond à Crots et à Châteauroux. Mais les chemins et routes utilisés à cette fin se situent à l'étage forestier et ne font qu'effleurer les alpages. Il en sera de même pour le sentier balcon qui doit être établi par les soins du Parc National des Ecrins.
Des alpages peu fréquentés des promeneurs.
Un sentier fléché, de même qu'une route balisée et, de surcroît, en bon état sont en effet pour un alpage de puissants facteurs de fréquentation touristique. Les promeneurs se munissent rarement de cartes d'état-major (du reste insuffisamment tenues à jour pour ce qui concerne la haute montagne...). Dans ces conditions, ils sont tributaires des panneaux de signalisation. Or, ces derniers sont rares sur les alpages du Bas-Embrunais. Les sentiers fléchés sont aménagés par les soins du Parc National des Ecrins dans la zone centrale, et par ceux de l'O.N.F. dans la zone périphérique. Seuls 10 alpages sur 32 en sont dotés. Dans la zone centrale, cette signalisation est, à dessein, fort discrète : il s'agit de préserver la tranquillité des troupeaux de moutons. Le sentier qui conduit à la Cabane de la Vieille Selle et qui a fait l'objet de considérables travaux d'améliorations, n'est cependant pas indiqué, ceci pour inciter les promeneurs à emprunter le chemin balisé de Chargés, alpage occupé seulement pendant une partie de l'été et ce, par des bovins, moins susceptibles d'être dérangés que les ovins. Signalisation discrète également, voire absente, le long des routes forestières et pastorales. Si l'on ajoute que, non revêtues, ces dernières sont caillouteuses et souvent ravinées, les automobilistes en vacances sont peu tentés de les prendre. [Quelle chance!]
Nous ne pensons pas que les autres facteurs de fréquentation touristique soient aussi déterminants que l'accès. Faute d'indication précise, sur le terrain, sur la façon d'y parvenir, la présence attractive d'un lac, d'une cascade, d'un col, d'un point de vue, d'une ancienne chapelle demeurera lettre morte. Il est douteux que les itinéraires de randonnées pédestres suggérés et décrits dans les brochures disponibles au Syndicat d'Initiative d'Embrun incitent beaucoup de vacanciers à l'aventure. Quant aux promenades guidées, elles ne dérangent pas les troupeaux, encadrées qu'elles sont par des habitants du pays.
L'alpage du Grand Morgon à gauche et un alpage à Châteauroux à droite. Celui du Morgon accueille plutôt les moutons et les brebis.
L'analyse théorique le suggère et les observations sur le terrain permettent de le vérifier : la fréquentation touristique est maximum aux Seyères d'Embrun, au Morgon et à la Grand Cabane de Crots, à la Cascade de Châteauroux et à Bel Pinet de Saint-Clément et ceci dans des conditions qui, à une exception près (le Morgon), sont assez peu préjudiciables aux troupeaux. Le Morgon et la Cascade mis à part, il s'agit en effet de montagnes à bovins. Les unes (Bel Pinet, la Cascade) sont des pâturages de demi-saison désertés par les troupeaux au gros de la période touristique. Les autres (les Seyères, la Grand Cabane) sont suffisamment vastes et boisées pour que quelques astuces de gardiennage permettent aux bergers de soustraire leur troupeau aux yeux des promeneurs. Mais au Morgon, alpage à moutons où les arbres sont rares, les touristes qui, par colonnes partent à l'assaut des sommets environnants, obligent le berger à une vigilance de tous les instants, surtout lorsque, malgré les recommandations apposées sur les panneaux de l'O.N.F., ils oublient de tenir leurs chiens en laisse. Le Morgon toutefois constitue une exception qui permet d'apprécier combien est nécessaire le gardiennage permanent du bétail quand la pression touristique est forte.
Concernant les chiens en laisse, je suppose qu'il s'agit des chiens qui accompagnent les randonneurs. Il n'y a aucune raison d'amener son chien dans les alpages, à plus forte raison si ces derniers sont occupés par des troupeaux. Il y a des coups de pieds au cul qui se perdent pour ces véritables fauteurs de troubles qui, parfois, s'étonnent de se faire mordre par les chiens du berger et qui ne trouvent rien de mieux que d'aller porter plainte! Heureusement, la plupart du temps les gendarmes réussissent à les convaincre de laisser tomber! Est-ce qu'on amène son chien au zoo?
Pour ceux qui voudrait lire l'article au complet, je vous remets la référence:
Revue de géographie alpine Année 1980 Volume 68 Numéro 4 pp. 327-347
avec l'adresse pour un accès direct:
http://www.persee.fr/doc/rga_0035-1121_1980_num_68_4_2210