Barrage de Serre-Ponçon
Poussant un peu plus loin dans l'investigation des articles de "La Revue de Géographie Alpine", voici quelques extraits d'articles que j'ai trouvés intéressants et que j'ai choisis pour les noms familiers qui y sont cités et qui nous remémorent nos souvenirs de vacances. Familiers aussi sont les sujets abordés: le lac de Serre-Ponçon évidemment et les alpages.
Commençons par le barrage de Serre-Ponçon. Rappelons que cet article a été écrit alors que le réservoir était en cours de remplissage, lequel sera achevé au printemps 1961.
Note: les photos ne font pas partie des articles. Je les ai rajoutées afin d'illustrer les propos des auteurs et de rendre la lecture plus agréable. Le surlignage également.
Le barrage de Serre-Ponçon, pièce maîtresse
de l'aménagement de la Durance
par Aimé Bertin
Revue de géographie alpine Année 1960 Volume 48 Numéro 4 pp. 625-687
Après avoir discuté des débits de crues observés dans la région, l'auteur continue ainsi:
...Peut-on espérer, dans ces conditions, que le barrage de Serre- Ponçon soit le frein efficace aux dévastations de cette rivière qu'un antique dicton range, avec le mistral et le Parlement, parmi les fléaux de la Provence ? Il est à craindre que l'on se soit fait trop d'illusions à ce sujet, et tout ce qui précède tend assez à le montrer. La digue de Serre-Ponçon réduira certainement l'ampleur des dégâts que les crues de printemps auraient provoqués sur le cours de la Moyenne Durance alpestre, d'autant plus que les eaux de la retenue seront à leur niveau
le plus bas, après la production hivernale d'hydro-électricité.
Puis il discute des indemnisations :
...On voit finalement que les gens de la région de Serre-Ponçon ont fait une excellente affaire, et rien n'est plus instructif que de prendre comme élément de comparaison l'enquête faite par la Vie Française du 5 novembre 1954, sur le thème : « Ce que vaut la terre en France ». Le prix maximum à l'hectare est celui atteint par les terrains qui portent les cultures florales des Alpes-Maritimes et qui s'élevait à 2 000 000 de francs. Viennent ensuite les meilleures terres d'Alsace et de Roussillon qui étaient cotées 1 000 000 de francs.
Or, à Serre-Ponçon, un propriétaire de 17 hectares a reçu 51 millions. Si l'on retranche le montant des diverses indemnités, il reste environ 39 millions, soit 2 300 000 francs l'hectare. Ce prix, comme ceux des Alpes-Maritimes, comprennent les bâtiments. Plus éloquent encore est l'exemple de cet exploitant qui, ayant fait son testament en octobre 1951, estimait sa propriété à 90 000 francs. En juin 1952, lors de la phase des propositions amiables, E.D.F. proposait de l'acheter 6 000 000 de francs, toutes indemnités comprises. Finalement, elle dut l'acheter 13 133 628 F, les indemnités défalquées. La propriété a donc été payée 146 fois la valeur estimée par le propriétaire lui-même en 1951. On comprend, dans ces conditions, que les habitants des Crottes aient tout fait pour empêcher E.D.F. de construire la digue qui doit préserver leurs meilleures terres, et qui partant, les met à l'abri de l'expulsion.
Les Crottes (devenu les Crots) à gauche et la fameuse digue dont les habitants ne voulaient pas!!
Mais alors, on reste sceptique devant l'argument sentimental du dépaysement et de l'attachement aux vieilles pierres. Pourtant, l'examen des faits montre que les populations expropriées ont cherché à s'établir, dans la mesure du possible, dans des régions peu différentes de celles qu'elles venaient de quitter.
La plupart d'entre nous ne serons pas trop perdus avec les francs de l'époque que nous utilisions pour nous acheter des cachous, chewing-gum, roudoudous et autres friandises; on se contentait cependant de quelques francs qui sont, par la suite, devenus des centimes...
Enfin, l'article se termine par cette conclusion:
Les problèmes économiques et humains que posait le verrouillage de la vallée de la Durance à Serre-Ponçon ont été résolus à la satisfaction des uns et au mécontentement des autres.
Si l'on fait abstraction du préjudice moral, les expulsés de Savines ont été largement rémunérés. Dans l'immédiat, les effets des chantiers ont été bénéfiques.
Pour la première fois depuis un siècle, la courbe de variation de la population des Hautes-Alpes a amorcé une remontée. Sur le plan économique, la zone influencée par les travaux a vécu une période d'euphorie certaine.
Mais déjà l'avenir se teinte de couleurs plus sombres et l'on voit arriver avec inquiétude la récession brutale qui va accompagner la fin des travaux. Il est à craindre que beaucoup d'illusions aient germé autour du barrage, mais aussi que les moyens mis en œuvre pour promouvoir un essor économique n'aient pas toujours été à la mesure des projets.
La grosse entreprise capable d'accueillir les 600 autochtones qui travaillaient sur les chantiers est encore à créer. Sur le plan agricole, l'extension des irrigations apportera un mieux-être certain dans les campagnes, mais elle ne suffira pas à retenir un excédent de population rurale que l'enquête du M.R.L., nous l'avons vu, a chiffré à 2 000-2 500 personnes.
Il semble que ce soit dans la direction du tourisme et du climatisme qu'il faille se tourner. Déjà, certaines stations de sports d'hiver des Alpes du Nord connaissent, au moment des vacances de fin d'année et de Pâques, un encombrement que le Briançonnais et l'Ubaye pourraient absorber. Il serait possible de ménager des plans d'eau à niveau fixe, sur les rives du lac de Serre-Ponçon, et de développer la pratique des sports nautiques. D'ailleurs voiliers et barques, tolérés par E.D.F., n'ont pas attendu que les eaux du lac aient atteint leur cote définitive pour faire leur apparition.
Il est peut-être encore un peu tôt pour prévoir les effets à long terme, mais déjà, bien des chances ont été négligées.
Pour l'article complet, voici la référence:
Revue de géographie alpine Année 1960 Volume 48 Numéro 4 pp. 625-687
et l'adresse pour un accès direct:
http://www.persee.fr/doc/rga_0035-1121_1960_num_48_4_1888