Les anciens de Baratier

Les anciens de Baratier

La der des der

  C'était le dernier contrat de ma vie de géologue.

 Normalement, certains problèmes de santé aurait du passer en priorité, mais l'occasion de clore une carrière passée la moitié du temps à crapahuter a pris le pas sur la raison. Ce qu'aujourd'hui je ne regrette pas, pas plus que je ne le regrettais d'ailleurs à l'époque.

  C'était en 2012, il s'agissait de partir quelques semaines dans le nord, en hiver, pour réaliser un programme d'exploration sur le tracé du futur prolongement de la route 167, afin de fournir un accès à des mines d'uranium et d'or, pas encore exploitées.

  En effet, il y a seulement un chemin d'hiver qui est impraticable dès que la température augmente et atteint -10° à -5°. Alors, s'il fait soleil, il y a des sections qui fondent et impossible de passer, même avec des 4x4.

 

  Nous voilà donc en route, deux camions, trois 4x4, à partir de Alma située  dans la région du Lac St-Jean à déjà  475 km de Montréal.

 

 

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                        Le trajet de Montréal au campement Eastmain

                      (et non Némiscau) prend trois jours.

                     La dernière section est la plus pénible.

 

 

  Le nom exact du campement est Eastmain Ressources, abrégé en Eastmain, ce qui est embêtant puisqu'il y a aussi un camp Eastmain à la Baie James, où j'ai d'ailleurs été dans les années 70, dans le cadre de l'exploration géotechnique pour le barrage sur la rivière du même nom.

  Il faut deux jours pour se rendre au campement. Il est prévu (en fait on n'a pas le choix!) de s'arrêter manger et coucher à la base qui existe au bout de la route actuelle et qui est ouverte toute l'année. C'est le campement Albanel, base d'hydravions de Air Roberval avec une piste en terre pour les avions qui ne flottent pas, ce qui est plus commode en hiver.

 

 

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   Le campement Albanel. Au premier plan, la piste d'atterrissage.

  Au centre, la route se continue vers la droite durant quelques

kilomètres. Voyez sur la photo suivante comment elle se termine!

 

 

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     Même si on n'a pas appris le code de la route, on comprend                                   tout de suite!

 

 

  Le lendemain direction le camp Eastmain qui est une ancienne mine d'or ayant fermé dans les années 90 et qui sera remis partiellement en fonction pour la durée de nos travaux.

  Le chemin d'hiver est très sinueux, cahoteux, ça monte, ça descend et ça secoue! En chemin, on croise des sections déboisées du nouveau tracé de la future route, prolongée à partir du camp Albanel. De temps à autre des pelles mécaniques, des machines à débrancher les arbres et à les couper et des bulldozers font des tâches jaunes sur le fond vert de la forêt ou le brun organique du tracé déboisé.

  On n'a qu'une hâte, c'est d'arriver, de s'installer et d'aller à la cuisine prendre un bon repas chaud. Nous y sommes enfin dans l'après-midi avec une température plus fraiche, -15º à -20º avec un peu de soleil.

  Deux grandes roulottes d'une douzaine de chambres pour deux ont été ouvertes pour nous accueillir. Mais, horreur! nous apprenons avec stupéfaction qu'il n'y a pas encore d'eau dans ces deux roulottes! Nous ne savons pas exactement pourquoi. On nous avait assuré que tout serait fonctionnel à notre arrivée! Les toilettes ont en effet l'air d'être dans le même état qu'il y a plusieurs années! On a beau tourner les robinets, pas une goutte d'eau!

 

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                                 Le campement Eastmain.

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Nous avons du creuser un peu dans la neige pour relier les dortoirs à la cuisine, au fond à gauche.

 

 

 Nous avons passé la première nuit avec une certaine appréhension, sachant que si l'envie de faire ses besoins se déclenchait, ce qui ne saurait manquer d'arriver, il faudrait sortir et aller se les geler par -25º ou -30º!!!

  L'affaire a été rapidement réglée le lendemain matin. Car en plus des toilettes, il faut comprendre que notre travail doit se passer toute la journée dehors et que la plupart d'entre nous auront besoin d'une bonne douche en revenant au campement.

  Décision finale: on retourne chez nous et on revient quand tout est en ordre et fonctionne correctement. Dans ces régions éloignées, il n'y a pas d'à peu près. On n'est plus au 19ème siècle!

  L'intermède a duré une semaine exactement, semaine que nous avons passée au chaud chez nous, après avoir refait le trajet en sens inverse!

  Une semaine plus tard donc, rebelote. Je remonte avec des techniciens qui me prennent dans leur voiture, jusqu'à Jonquière, une ville proche d'Alma. Coucher à l'hôtel et départ le dimanche matin 19 février à 4h30! Les gars ont l'intention de faire tout le trajet d'une traite afin d'arriver dans le courant de l'après-midi. Chose dite, chose faite, et nous revoilà au campement à 16h30. Douze heures de route, non-stop!

  Ah!...cette fois-ci l'eau coule des robinets, claire et limpide. On va pouvoir uriner sans craindre de voir nos bijoux se transformer en glaçons!

  Chacun se choisit une chambre et ceux qui se connaissent bien se mettent ensemble. Ça évite de tomber sur un ronfleur (ou un péteur) qu'on ne connait pas et, parce qu'on ne le connait pas, qui nous tombera sur les nerfs plus que celui qu'on connait...

  J'ai eu la chance d'avoir une chambre tout seul en attendant un voisin éventuel. A ce moment-là il faut choisir son lit judicieusement, en fonction du matelas d'abord, et de son emplacement ensuite selon qu'on se lève à gauche ou à droite. Je dis le matelas mais c'est aussi le sommier: éviter à tout prix ceux qui grincent de façon excessive!

  Bien installés, nous sommes prêt dès le lendemain matin à nous mettre au boulot. Je suis affecté aux forages et je connais l'équipe avec qui je vais travailler, un foreur connu il y a une dizaine d'années et un jeune aide-foreur.

  Je dois décrire les opérations de forage, identifier les échantillons des sols traversés et décrire les carottes de roc lorsque ce dernier est atteint. Faire en somme ce qu'on appelle le log du forage.

  Les horaires de travail sont toujours les mêmes: 10h par jour et, le plus souvent, 7 jours par semaine. Il faut dire qu'on fait 3 semaines, 1 semaine de congés et encore 3 semaines. Le départ se fait à 7h et le retour à 17h30 avec 1/2 h pour avaler notre repas. Des hélicos nous transportent sur le terrain et comme ces petites bestioles coûtent 1200 à 2000$ l'heure (plus le carburant!), il est inutile de préciser qu'on ne doit pas les faire attendre.

 

 

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                        Le premier voyage est prêt à partir. Une

                           fois sur place on attendra le matériel.

 

 

 

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                   Le carburant doit être adapté au climat! Derrière,

              il s'agit d'une souffleuse pour réchauffer l'intérieur

              de l'hélico, en particulier les instruments du tableau

              de bord!

   

  Avant d'en arriver à prendre notre rythme de travail, il faut que le matériel et les équipements de forage soit sur les sites à étudier! Évidemment mon cher Watson! Les foreuses étant trop lourdes pour être élinguées d'un seul coup, il faut les démonter (les foreurs ont l'habitude) puis préparer les charges afin qu'elles soient d'un poids raisonnable bien réparti pour assurer la stabilité en vol. Il faut surtout savoir que si, pour une raison ou une autre, un pilote doit lâcher sa charge, les assurances paient un montant basé sur le poids de la charge et non sur sa valeur, à moins d'un accord qui coûterait beaucoup plus cher. D'où le soin à apporter à la préparation des élingues.

  J'ai souvent imaginé, dans mes délires nordiques, un hélico qui transporterait une tonne d'or, obligé de tout lâcher : à 10$ le kilo, le proprio en toucherait 10000 pour un truc qui vaut 1,5 million!!

  Vive les assurances!

 

 

 

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                   Un Bell 205 amène une partie de la foreuse au milieu de

                 la rivière Eastmain. A cet endroit, il y a environ 35 à 40cm

                 de glace. L'épaisseur est vérifiée tous les jours à tous les

                 5m sur toute la largeur de la rivière (on voit à droite une

                 zone non gelée).

 

   Lorsque tout le matériel est sur place, il faudra 2 ou 3 heures pour le réassembler et s'installer le plus confortablement possible avant de pouvoir commencer le forage. Dans ces conditions hivernales, les différents protocoles à suivre s'appuient sur le fait que RIEN NE DOIT GELER! Ni le matériel ni les hommes. Mission presque impossible...

  Prenons les hommes. Les zones à protéger sont le visage, les mains et les pieds. Un foulard autour du cou, une cagoule, un bonnet qui couvre aussi la nuque, le casque et les protège-oreilles, on ne voit plus que les yeux, le nez et la bouche. Ceux qui ont la moustache ou la barbe auront des glaçons genre stalactites!

  Pour les mains, des petits gants en laine avec de gros gants fourrés par dessus. Les mains, on peut toujours souffler dessus, mais les pieds? Il faut des bottes dont la semelle a au moins 5-6 cm d'épaisseur, en caoutchouc (très efficace), avec des montants matelassés. A l'intérieur de chaque botte, un feutre amovible pour assurer la chaleur et le confort.

  L'une des solutions, incontournable, c'est de couper du bois. Et les arbres morts, c'est pas ce qui manque ici. En arrivant sur le site, la priorité est d'allumer un bon feu. Une dizaine de bûches et c'est parti!

  Je dis une dizaine, mais avec la scie mécanique on a tôt fait d'en faire trois fois plus. Traditionnellement, la tâche d'entretenir le feu est dévolue au technicien ou au géologue qui dispose de plus de temps puisqu'il n'a pas à s'occuper (sauf exception) des opérations de forage.

 

 

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                       Les bûches sont prêtes, on part le feu!

 

 

 La routine s'installe lentement et seul le site change au fur et à mesure que les forages se terminent. Les hélicos ne peuvent pas nous déposer exactement à l'endroit du forage et nous avons donc un certain trajet à parcourir pour nous y rendre. Habillés comme des Esquimaux, sac au dos d'une dizaine de kilos, nous nous dirigeons vers la foreuse en faisant toujours attention où nous posons les pieds, car si la neige est belle, il ne s'agit pas de glisser pour atterrir sur un rocher!

 Pour ma part, je vais un peu moins vite que les foreurs, l'âge et la cigarette me le faisant savoir à chacun de mes pas (je suis heureux de vous dire que j'ai lâché la cigarette définitivement depuis).

 Finalement je ne m'en sortais pas trop mal avec mes 66 ans...

 

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On notera la bonbonne de propane, indispensable pour dégeler

la foreuse et les outils, et aussi pour partir un bon feu! Ce jour-là, il faisait -19°.

 

 

 

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                     La foreuse un matin où il devait faire -25°.

 

   Et puis de jour en jour les travaux avancent et la fin du chantier est de plus en plus proche. Les températures sont à la hausse et ceux qui ont des véhicules commencent à songer sérieusement à redescendre avant que le chemin d'hiver ne soit plus praticable.

 Tous les véhicules finissent par prendre le chemin du sud et nous restons une quinzaine environ qui seront envoyés au campement Albanel par avion.

 

 

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      L'avion qui nous a récupérés. La piste était enneigée et

      on s'est gelé les machins durant tout le trajet d'une heure.

 

 

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                 Seule compensation, la beauté froide du paysage et

                           des rayons du soleil couchant.

 

 Voilà. Je n'ai abordé que les aspects travail, mais la vie au camp dans nos chambres ou à la cuisine, ce lieu réconfortant où nous retrouvions chaleur et nourriture, et où on se liait d'amitié avec d'autres travailleurs souvent peu instruits mais avec de grands cœurs, est plus difficilement racontable, à moins d'être au coin d'un bon feu en sirotant un petit Grand Marnier.

 

 

J'ai commencé cet article en juin 2014. Je le termine aujourd'hui le 17 janvier 2015 à la mémoire de mon fils Michaël, disparu le 29 septembre 2014, qui aurait adoré ce genre de vie.

 

Très légèrement étoffé ce 23 décembre 2016.

 

 

 

 

 

 

 

 

 



18/01/2015
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