Le Père Jacques de la Celle
Le Père Jacques avait, de prime abord, un aspect plutôt rébarbatif: maigre, visage émacié, revêtu de sa soutane noire qui paraissait trop grande.
C’était pourtant un homme sympathique et doux lorsqu’on osait l’aborder.
Je l’ai rencontré à quelques reprises aux abords du bâtiment, là où le petit sentier escarpé se rendait vers les tentes des Écureuils et plus bas jusque vers celles des Hirondelles.
La rencontre se soldait le plus souvent par une conversation de quelques minutes:
- Comment ça va? et les enfants?
- Ça va bien, merci...
- Vous avez prévu une ballade cette semaine?
- Oui, mais on sait pas encore si on se fait le Guillaume ou le Lac Sainte-Marguerite. Faut vérifier si on a de la place pour coucher aux Orres.
- Il va aussi falloir penser à se préparer pour la Journée des Parents! Je pense qu’on va faire la messe en bas sous les sapins...
Préparation de la messe sous les sapins.
Et puis la conversation prenait fin lentement faute de carburant (on était, à tort, assez intimidé devant lui).
Le Père Jacques a été le principal artisan et pilier de cette colonie de Baratier dont il s’occupait à partir de sa paroisse des Carmes à Avignon: administration, financement, même le recrutement.
Pour ceux qui l’ont connu à la colo, c’était surtout un ouvrier infatigable pour réparer ou améliorer les installations : plâtrier, plombier, menuisier, électricien, et j’en oublie, il pouvait tout faire!
Je me souviens que dans les premières années où j'étais colon, il s’occupait quelquefois du projecteur de film qu'on installait à l'entrée du réfectoire extérieur, soit pour vérifier le mécanisme, soit pour changer de bobine…Un vrai touche-à-tout!
La meilleure photo du Père Jacques
(fournie par Bernadette)
Une autre image qui me vient toujours à l’esprit, c’est la messe du dimanche. Quand c’était lui qui officiait et que c’était le moment du sermon, il commençait par s’adresser à l’ensemble des fidèles mais il passait rapidement aux enfants du premier rang. Sa voix devenait alors un chuchotement et à partir de quelques bancs en avant on ne saisissait plus un mot de ce qu’il disait…
Une chose est sûre : il parlait toujours avec un léger sourire à la messe ou ailleurs...
Ahmed Bouchaala se souvient :
" Félicitations pour votre blog. J’y ai appris des choses étonnantes que je ne pouvais connaître durant mon enfance, surtout l’histoire du père Jacques de la Celle. C’est un homme pour qui j’ai beaucoup de respect.
Mon souvenir de lui, lors de mon premier séjour à Baratier j’avais assisté à la messe. A la fin, voyant tous les enfants aller manger l’hostie, je me suis joint à eux. Arrivé devant le père Jacques, il a refusé de me donner l’hostie. Je ne comprenais pas pourquoi. Après la messe, il est venu me voir et a pris la peine de m’expliquer pourquoi il ne pouvait me donner la communion. C’était mon premier cours de religion".
Saviez-vous, par contre, comment le père Jacques rejoignait la colo ? Eh bien, il lui arrivait de faire la route d'Avignon à Baratier au volant de sa DKW, une voiture de la marque Auto Union, qui deviendra plus tard...Audi !!
La photo date de 1962.
A gauche il semble que ce soit le cuisinier avec Mme Bonnet maman de Guy Bonnet (aux Alouettes). On y aperçoit Jean
Dumont avec, à sa droite, Yves Schoenlaub et ses lunettes
noires, puis Mme Marini et M. Marini. Debout, Robert
Meissonnier qu'on n'a jamais vu assis.
Vous aurez remarqué la voiture du père Jacques, l'objet
de cette "digression".
Anecdote de Bernard Fosco:
Un jour nous fîmes, le père Jacques, monsieur Marini et moi, un aller retour Avignon Baratier à bord de la DKW du père Jacques.
Inquiet de la façon de conduire peu catholique du père Jacques, celui-ci parlant beaucoup trop en conduisant, monsieur Marini s'exclama :
" Mon père, si nous mourons dans un accident, vous , vous êtes sûr d'aller au paradis, mais pour Bernard et moi c'est moins sûr..."
Michel Bonnefoy en rajoute:
Il me semblait bien en effet que cette DKW rouge appartenait
au père Jacques qui en fin d'été s'attelait à démonter et
nettoyer le moteur dans la cour de la paroisse. Il la conduisait
d'une façon pas très orthodoxe (ni catholique d'ailleurs!!!),
coupant les virages, même sans visibilité. Notre cuisinier
Roger Marini étant monté à Baratier avec lui, avait, à ses
dires, fait dans son froc de frayeur.
En ce qui concerne son implication à la Paroisse des Carmes d'Avignon, j'ai trouvé deux articles qui mentionnent le Père Jacques, relativement à ses relations avec André Benedetto, fondateur du Théâtre des Carmes qui s'appelle aujourd'hui Théâtre des Carmes André Benedetto. Avec le temps et le Festival d'Avignon, ce petit théâtre a acquis depuis de nombreuses années une renommée nationale et internationale. Le Père Jacques pouvait être fier d'avoir eu la générosité (et le flair) d'avoir confié une salle de sa paroisse à Benedetto.
Le premier extrait provient d'un blog de Michel Benoit:
Le deuxième provient du site liberation.fr
Quant à savoir si le Père Jacques était un ancien résistant, c'est fort possible, mais ce sujet a toujours été enveloppé d'une grande discrétion par ceux qui y participaient, la plupart du temps anonymement, mais glorieusement.
Cette dernière section a été rajoutée le 23 octobre 2016, durant le petit déjeuner.
De l'humanité.fr, voici quelques autres lignes qui mentionnent le père Jacques :
Il y a quarante ans, à Avignon, André Benedetto lançait un nouveau théâtre, le théâtre des Carmes. Dix-sept décembre 1963. Avignon, 6 place des Carmes. Tout est déjà là : le théâtre, nu, de l'homme qui se bat avec sa conscience ; la salle hors de l'institution qui sera un lieu irréductible ; le temps, au début des années soixante, qui se projettera sur des décennies. Le père Jacques de la Celle et André Benedetto se sont trouvés. L'histoire marche souvent par deux. Le curé des Carmes, ancien résistant arrivé là en 1950, aimé des pauvres du quartier, bricoleur de génie qui, à plus de soixante-dix ans, avec son frère, repeint sur une très haute échelle et sans autorisation le plafond de son église, offre à des comédiens, ceux-là mêmes que, du temps de Molière, on inhumait de nuit, sa salle de patronage récemment fermée où l'on donnait à l'époque des pastorales. Dans le profil ascétique et généreux de l'hôte des lieux, il y a comme une métaphore de ce qui va s'y jouer. Benedetto, c'est une famille : lui, André, ancien instit qui composait, à Port Saint-Louis du Rhône, en écoutant du blues, " La ballade de Bessie Smith " que chantera Hélène Martin ; Georges, le frère ; Jacqueline, l'épouse ; Paulette, la mère, aux costumes et à l'éternelle 2 chevaux, qui vont croiser Bertrand (Hurault). Sans famille, au sens propre comme au sens figuré, il n'y a pas, au cirque ou au théâtre, c'est-à-dire dans le spectacle vivant, de développement durable.
Voici un autre souvenir de Yves le Loup :
Le père Jacques venait à Baratier avec sa moto une Magnat Debon ( je crois)??? semblable à la photo ci jointe.
Il rendait à l'occasion de multiples services. Un jour mon frère Antoine s'étant enfoncé un clou dans le pied a fait le trajet Baratier Embrun (hôpital) sur la moto. Il n'était pas peu fier!!!
Je crois me souvenir d'avoir vu cette moto. Celle du Père Jacques avait une moins belle allure mais elle marchait, comme tout ce qu'il avait!
Vers la fin août 2020, Ralph Beisson m'a envoyé cette photo qui date du début des années 70 :
On y voit le Père Jacques et la maman de Ralph à droite. Il s'agit vraisemblablement d'une partie de l'équipe du théâtre des Carmes sur le toit de la salle Saint-Benoit lors de la réfection de la toiture. André Benedetto dont nous avons parlé plus haut est assis, quatrième à partir de la gauche.
Voici ce qu'en dit Ralph dans ses commentaires :
''Cette salle paroissiale avait été prêtée à André Benedetto par le Père Jacques en 1963. Des activités paroissiales y avaient été produites et présentées : je me souviens en particulier d'une hilarante prestation du Malade Imaginaire proposée en 1960 par les filles du 2e cycle (parmi lesquelles Nicole Étienne-Astay, Monique Arnaud, la sœur de Maurice Arnaud, etc)."
Victor